Azalou et le soleil



C'étaient les grandes vacances. Mais on ne l'aurait jamais dit! La fin du printemps et le début de l'été ressemblaient à un automne. Il faisait gris, il pleuvait, il ventait. On n'avait pas pu ranger les petites laines et même, parfois, il fallait en ressortir une grosse.
- Quel sale temps! disait Maman.
- Est-ce que ça devrait exister, un temps pareil, en Juillet? demandait Mamie. Le Bon Dieu ne fait plus son travail! Si ça continue, je vais faire signer une pétition à tous les vacanciers et la lui envoyer. C'est comme ça, de nos jours: il faut se fâcher pour obtenir quelque chose!
- II est vieux, le Bon Dieu, répondait Mémé.Il est peut-être fatigué!
Elle savait de quoi elle parlait, Mémé. C'est la maman de Papy. Elle est obligée de descendre les escaliers tout de travers parce qu'elle a mal aux chevilles, et elle se couche tôt, le soir, sinon elle s'endort sur le canapé.
- Vous en faites, des histoires! a dit Azalou avec son sourire éclatant. Vous n'allez quand même pas déranger le Bon Dieu pour ça! Si vous voulez, j'irai vous le chercher, moi, le soleil!
- Ca y est! s'est exclamée Maman, Azalou a encore une idée géniale! Et où iras-tu comme ça, ma bichette? Au supermarché du bout de la rue? Le soleil est enfoui là-bas au fond de la réserve et ils ont oublié de le mettre en rayon? C'est ça?
- Mais non! J'irai le chercher chez lui! a dit Azalou. Je ferai vite! Vous ne vous apercevrez même pas que je suis partie! Vous me croirez en train de jouer chez Camille!
Elle a pensé en elle-même:
- Ou plutôt, vous me croirez en train de dormir!
Ils ne savaient pas! Elle n'avait pas encore trouvé comment faire pour leur parler de Nasko, le petit cheval blanc aux pieds d'argent qui venait lui parler à la fenêtre de sa chambre les soirs de lune, dès que Maman avait repoussé la porte. On ne fermait pas complètement à cause de Bali, qui dormait dans la chambre. Et Bali, la gentille, tranquille au creux de sa corbeille, sous le bureau, n'aboyait même pas en entendant Nasko. Une chance!
Azalou avait accepté à deux reprises d'aller faire un tour sur le dos du petit cheval. Il galopait, galopait, galopait, si vite que le vent vous sifflait aux oreilles. Ses sabots levaient des gerbes d'étincelles. Jusqu'en Chine, ils étaient allés. Ils avaient bondi par-dessus la Grande Muraille. Azalou l'avait bien reconnue. L'oncle de Camille y était allé et en avait rapporté des photos. Mais là, elle avait demandé à rentrer à la maison. Elle ne voulait pas que Papa et Maman risquent de découvrir son absence; ils auraient été inquiets. En quelques secondes, elle s'était retrouvée dans son lit.
Avec Nasko, tout était possible! Elle pourrait sûrement aller vite fait chercher le soleil!
- Notre Azalou a un imaginaire foisonnant! a dit papa.( Il parle bien, Papa )! En plus, elle est dégourdie et décidée. Elle serait bien capable de faire ce qu'elle dit! Seulement, Bichette, je suis désolé, mais des parents responsables n'ont pas le droit de laisser leur enfant courir seul les routes. Alors, je dois dire non!
- Cent pour cent d'accord avec Papa! a dit Maman.
Papy a levé le nez de son livre et il a souri dans sa barbe. Ce que pensaient Mamie et Mémé, elles l'ont gardé pour elles. Elles savaient qu'il ne faut pas mettre son grain de sel dans les discussions parents-enfants. Mémé savait aussi que ce serait trop dur pour elle, même si elle en avait envie, d'aller avec Azalou chercher le soleil. Pour faire diversion, Mamie s'est dirigée vers la fenêtre:
- Est-ce qu'on va quand même faire un tour en ville ou sur la plage? a-t-elle demandé.
- Allez-y si vous voulez, a dit Mémé. Moi, je vais rester ici. Il pleut.
- C'est ça! a dit Papy. Allons nous aérer un peu pendant que Mémé se repose.
C'était lui que le mauvais temps dérangeait le moins. Il adore marcher sous la pluie

Quand Nasko est arrivé ce soir-là, Azalou a été bien surprise. Il n'avait pas envie de l'emmener chez le soleil. Il disait qu'il y fait trop chaud et qu'il avait peur de roussir sa belle crinière blanche:
- Et si je te ramène avec les cheveux grillés et des cloques sur la figure, que vont dire tes parents?
Azalou n'y avait pas pensé et c'est vrai que ça posait problème. Mais devant son air déçu, Nasko a proposé:
- Ce que je peux faire, c'est t'emmener chez son neveu Crache-Loin, et, de là, tu lui téléphoneras.
- Et qui est son neveu Crache-Loin?
- Le dragon de la Haute Montagne!
- M'emmener chez un dragon? Mais il va nous dévorer! Je ne veux pas!
- N'aie pas peur! Celui-ci n'a jamais dévoré personne! Il est très gentil! Il est mon ami!
Bon! Puisque Nasko le disait! Azalou a enfilé son K-way, pris son sac à dos où restait, intact, le goûter qu'on avait emporté sur la plage car il avait fallu rentrer en catastrophe, sous la pluie.
Et en route! Nasko galopait, galopait, galopait, si vite que le vent leur sifflait aux oreilles. En un instant, il était loin dans la campagne. Et tout à coup, ils ont vu apparaître à l'horizon un gros nuage noir qui fonçait sur eux à toute allure.
- L'orage arrive! a dit Azalou, pas rassurée du tout.
- Ne t'inquiète pas! a répondu Nasko. C'est Sentinella qui m'entend galoper et qui envoie aux nouvelles!
Il lui a expliqué que Sentinella était la gardienne des portes du Pays d'En Haut. Il y en avait sept et elle était présente aux sept en même temps. Le nuage arrivait. Nasko a frappé le sol d'un de ses sabots et il s'est élevé au-dessus d'eux un arbre au feuillage si serré qu'ils ne risquaient rien de la pluie. Surprise! Ce n'est pas de l'eau qui est tombée, mais des corbeaux et ils se précipitaient pour becqueter les jambes de Nasko. Il s'est mis à piaffer. Il envoyait les corbeaux rouler à plusieurs mètres. Ils faisaient: " Aïe!" et ils se dépêchaient de se relever et de décoller pour rejoindre leur nuage qui a rebroussé chemin.
De nouveau, Nasko a galopé et là, ils ont entendu, au loin, des aboiements:
- Sentinella a lâché ses chiens! a dit Nasko. Donne-leur des gâteaux, ça leur fera plaisir.
Trois énormes chiens roux accouraient, mais soudain ils ont cessé d'aboyer et ont crié:" Nasko! Nasko!" en gambadant autour de lui.
- Bonjour! a dit Nasko. la petite fille, c'est Azalou. Elle vous a apporté quelque chose!
Ils sont venus prendre délicatement les gâteaux qu'Azalou leur tendait et ils ont crié:" Azalou! Azalou!" et ils lui léchaient la main.
Et ils ont tous galopé, galopé, galopé, si vite que le vent leur sifflait aux oreilles. Les chiens ont pris un peu d'avance, se sont arrêtés devant une énorme haie d'épines qui semblait monter jusqu'au ciel. Ils ont crié:
- Sentinella, tu peux ouvrir, c'est Nasko!
- Je sais bien que c'est Nasko; les corbeaux me l'ont dit! a répondu une voix. Mais pourquoi amène-t-il une petite fille?
- Bonjour, Sentinella! a dit Nasko. J'emmène Azalou chez Crache-Loin, elle voudrait parler au soleil.
- Elle est gentille, ont dit les chiens: elle nous a donné des gâteaux!
La haie d'épines a disparu aussitôt. Mais il restait une belle et haute grille de fer forgé fermée au cadenas. Derrière la grille , se tenait une dame, qui paraissait immensément vieille, qui était immensément belle; ses yeux faisaient penser à la mer. Azalou avait fait l'inventaire de son sac à dos. Elle a dit:
- Madame, permettez-moi de vous offrir des bonbons à la menthe. Ce sont les préférés de ma Mémé. Elle trouve que ça lui donne du tonus. J'aimerais aussi vous laisser ce qui reste de gâteaux pour les chiens!
Et elle lui a dédié son sourire éclatant.
- C'est vrai qu'elle est gentille, a murmuré Sentinella, et elle a ouvert la grille.
- Passez! Et saluez pour moi Crache-Loin.
Azalou a eu à peine le temps de dire merci et de donner ses cadeaux; ils étaient déjà en train de galoper, galoper, galoper, si vite que le vent leur sifflait aux oreilles.

On ne pouvait pas avoir peur de Crache-Loin. C'était un dragon aimable et joyeux. Il les avait accueillis par quelques pas de danse, en chantant:"Boum, la la! Pirouli! Piroula! la li la la boum! boum! boum! ça faisait rire. Quand Azalou lui avait donné ce qui restait dans son sac à dos, un gros paquet de bonbons aux fruits, il lui avait fait, dans les cheveux, un bisou qui chatouille. Puis, il avait appelé au téléphone son no-noncle Soleil, qui avait répondu "Allo!" de sa voix tonnante et il lui avait résumé la situation. Mais maintenant qu'Azalou avait le portable entre les mains,elle se sentait tout intimidée, toute bête et ne savait plus quoi dire.
- Si j'ai bien compris mon neveu, a dit la grosse voix, tu es une petite fille et tu trouves qu'on ne me voit pas assez chez toi? Tu crois donc que c'est amusant pour moi, de regarder les gens de la Terre? Toujours à se faire la guerre! Toujours à se disputer! Je vais te dire: ils me fatiguent! Leur tourner le dos un peu, ça me fait du bien! Est-ce que tu le comprends? Evidemment, toi, tu n'y es pour rien; ce n'est pas la faute des petites filles!
Pleine d'espoir, elle a dit:
- Monsieur Soleil, peut-être vous me connaissez? Je suis Azalou. J'aurais tellement besoin de vous pour que ma famille passe de bonnes vacances!
- Azalou? Bien sûr, je te connais!C'est toi qui habites la maison en bois pas très loin de la mer. Bon! Eh bien, pour toi, je vais faire un effort, c'est promis!
- Oh! Merci, Monsieur Soleil! Merci...
Il avait déjà raccroché.
Crache-Loin a fait quelques galipettes. Il a chanté:"Boum la la! Pirouli! Piroula! La li la la boum! boum! boum!I l a dit à Nasko de revenir le voir quand il voudrait, ça lui ferait plaisir, pui il a demandé:
- Voulez-vous que je vous renvoie à la maison?
Nasko voulait bien; ils gagneraient du temps; ça leur rendrait service. Crache-Loin a soufflé tout doucement - ils ont été enveloppés de lumière et de chaleur - puis de plus en plus fort. ils ont traversé le ciel à toute allure et l'instant d'après, la boule de lumière s'est dissipée. Azalou était dans sa chambre.

Le lendemain, elle a été réveillée par la voix de Maman:
- Tout va bien, chérie? ce n'est pas le moment de faire la grasse matinée, regarde un peu ce ciel!
Azalou s'est assise dans son lit. Le soleil entrait à flots par la fenêtre.
- Tu vois, tu n'auras pas besoin d'aller chercher le soleil! Il est là! A moins...à moins que tu n'y sois allée cette nuit?
Azalou était enchantée! Maman devinait tout!
- Oui, justement, j'y suis allée, mais pas toute seule! C'est Nasko qui m'a emmenée!
- Nasko?
- Oui, un petit cheval blanc qui vient me parler à la fenêtre.
- Et tu ne nous l'a pas présenté! Je veux absolument le connaître! Maintenant, debout, ma bichette, il faut profiter de cette belle journée!
A partir de ce jour, les vacances ont été magnifiques. Il faisait chaud, mais pas trop ; on pouvait rester longuement sur la plage. Souvent, le soir, on faisait des promenades le long de la mer. Papa et Papy partaient devant, avec leurs grandes jambes. Bali les suivait mais se retournait souvent pour voir ce que devenait le reste de la troupe; et quand ils revenaient tous les trois, on rebroussait chemin avec eux vers la maison. D'autres fois, on restait tard dans le jardin, à regarder se lever les étoiles. La première, à l'ouest, du côté de la mer, c'était Arcturus la rouge. La deuxième, quand on renversait la tête, presque au-dessus de la maison, blanche et bleue, c'était Vega. Papa connaissait les étoiles par leur nom. Peut-être qu'un cheval blanc, quand il était petit, l'avait emmené vers elles. Ou des oiseaux. Papa les aimait tous, même les corneilles. Maman les traitait de sales bêtes parce qu'elles avaient pillé le nid de tourterelles, dans le peuplier, mais Papa disait que ce n'était pas de leur faute, c'était leur nature, elles n'avaient pas demandé à être comme ça. Oui, c'était sûrement des corneilles qui avaient emmené Papa jusqu'aux étoiles! On parlait de petites choses sans importance, on riait pour des riens. On était ensemble. On était contents. Parfois, on entendait un léger ronflement; c'était Mémé. Elle adorait ce qu'elle appelait les bains de fraîcheur du soir, dans la chaise longue. Azalou courait de l'un à l'autre, jouait avec Bali. Le soir, elle s'endormait avant que sa tête ait eu le temps d'arriver sur l'oreiller!
Parfois, quand ils dînaient sur la terrasse, le soleil faisait un clin d'oeil à Azalou par le trou de la haie, là où il manquait un laurier, avant de se coucher. Elle répondait par son signe secret: elle passait trois fois son index sur le bout de son nez. Puis elle le remerciait dans son coeur. Alors, elle l'entendait rire.
C'étaient de belles vacances, dont on se souviendrait. Quand les grands-parents sont repartis, Mémé a dit, en serrant Azalou dans ses bras:
- Merci, chérie, dêtre allée nous chercher le soleil!
Et Mamie s'est écriée:
- Mais c'est vrai! J'avais oublié! merci, Azalou!
De Nasko, il n'a pas été question. De toute façon, il n'était pas revenu.
Azalou leur a dédié à tous son sourire éclatant. Elle les aimait, ceux-là! Elle les aimait comme ils étaient, avec leur qualités et leurs défauts. Elle savait depuis longtemps que les grandes personnes disent un peu n'importe quoi et qu'elles n'ont pas beaucoup de mémoire.


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