Une rencontre extraordinaire



Ma ville est belle. Mais attendez! ce n'est rien à côté de ce qu'elle sera. On va y construire plein de nouvelles maisons, des magasins superbes! Pour le moment, c'est la période ingrate: les excavatrices sont au travail. Il faut bien en passer par là! On creuse des tranchées, il y a des trous partout! Et - pas de chance, Laurence! - une de ces tranchées est passée juste là où je ne voulais pas qu'elle passe.
Je connaissais un endroit, en haut du mail, sous une haie, où poussaient des orchidées sauvages, des grandes listères. J'allais les voir, parfois même je leur parlais. Je crois que personne sauf moi ne les connaissait. C'était rudement bien, d'avoir mon minuscule jardin secret, d'enclore un mystère, ce coin à listères! Mais voilà!les machines y ont frayé leur chemin de taupes monstrueuses et après les travaux, les orchidées sauvages n'ont pas repoussé!
L'autre jour, j'avais encore cherché, sans trouver la moindre tige qui leur ressemble. J'avais poursuivi jusqu'au parc, toute contrariée, tournant le dos au chantier où on commençait à construire une nouvelle rue et un parking. Et tout d'un coup, quest-ce que je vois dans un massif d'arbustes? Un petit bonhomme en bonnet rouge, avec un justaucorps jaune et un pantalon bleu! Je me suis dit: " Quelque méchant gamin a volé un nain de jardin et l'a caché là. Ca ne se fait pas, des choses pareilles! Je vais le porter aux objets trouvés, il doit manquer à ses propriétaires! ". Mais, comme j'approchais, il a enlevé son bonnet, il s'est incliné et il m'a dit:
- Toujours! mamie conteuse. Je te demande lardon, je voudrais te dire quelques pots.
Oh! la surprise!!! Je n'en croyais pas mes yeux; ils devaient s'ouvrir grand comme des roues de bicyclette!
J'ai dit:
- Je ne rêve pas? Tu es un vrai nain? Un nain du petit peuple? De ceux qui vivent sous terre?
Il s'est encore inclilné, il était vraiment très poli!
- Oui! Je m'appelle Pilou. Je suis le fief des nains sous la pile.
Je ne comprenais pas. J'ai regardé autour de nous:
- De quelle pile parles-tu?
- Celle-ci! la tienne! celle que tu abrites, bien mûr!
Soudain, j'ai eu une illumination! Il parlait en mots tordus! J'ai dit:
- Tu veux peut-être dire la ville? Tu es le chef des nains sous la ville?
- Oui! c'est bien ce que j'ai dit! a répondu Pilou.
- Et tu me connais?
- Bien mûr! Nous avons un sans pareil qui enregistre tout ce qu'on dit à repos de nous sur la terre. Et toi, tu as perlé de notre meuble aux enfants.
C'était vrai! J'avais dit des contes sur le petit peuple.
- Mais...on ne vous voyait plus jamais venir sur tere! Que se passe-t-il donc?
Pilou a répondu:
- Ce qui se casse, nous ne le savons pas, justement et je suis venu boire. Je suis venu aux poubelles parce que l'heure m'a semblé brave; nous avons pleur. Depuis quelques temps, nous entendons des fruits au- dessus de nous; il y a des fibres à scions, des frangins sont en frein de creuser; nous craignons que le fiel nous tombe sur la bête!
Les pauvres! Les travaux dans la ville les avaient inquiétés! Mettez-vous à leur place! J'ai dit:
- C'est de ça que tu voulais me parler? Rassure-toi, Pilou! Il y a des chantiers un peu partout et il y en aura d'autres, mais ce n'est pas dangereux pour vous! On creuse pour poser des canalisations et construire des immeubles, mais ça ne va pas bien profond. Je peux te l'assurer, rien ne vous menace!
Il a eu l'air soulagé. Il a dit:
- Je te broie, mamie conteuse, mais tu comprends, je suis le fief, je dois me rendre honte des roses par moi-même. je vais attendre la suie pour que personne ne me noie et je passerai la pile en rebut.
( Quand il parle longtemps, ça devient un peu difficile)!
Je l'ai invité à passer à la maison après son inspection, mais il a refusé, il voulait rentrer le plus vite possible pour rassurer ses administrés. Nous avons échangé nos adresses électroniques, oui, ils ont des ordinateurs, ça a dû bien changer aussi chez eux. Il s'est de nouveau incliné:
- Farci beaucoup, mamie conteuse, je suis longtemps de t'avoir bue!
Nous nous sommes séparés et, après quelques pas, quand je me suis retournée pour lui faire signe, il n'était déjà plus là. Quelle rencontre extraordinaire! J'étais si contente que j'en avais oublié les orchidées. J'y ai repensé un peu plus tard, chez moi, en mangeant ma soupe. Je me suis dit que peut-être, l'an prochain ou dans deux ans, une racine courageuse, après s'être reposée et avoir pansé ses blessures, serait prise d'une irrésistible envie de vivre et de fleurir. Elle pousserait vers le jour une tige triomphante et peu à peu, malgré ce qui arrache, malgré ce qui hache, malgré ce qui fait mal, elles reviendraient, sous la haie, les listères.
J'aimerais beaucoup pouvoir les montrer à Pilou.


Si vous aimez les mots tordus, vous vous régalerez en lisant les livres de Pef
- Prince de Motordu
- La belle lisse poire du prince de Motordu.
- Motordu champignon olympique.
etc, etc...

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